samedi 26 janvier 2019

Deerhurst; l'émouvante chapelle du seigneur Odda.


A quelques kilomètres au sud de Tewkesbury dans le Gloucestershire dans la vallée de la Severn,  un petit village perdu dans une campagne verdoyante, cache deux trésors; deux églises saxonnes d'un intérêt exceptionnel dans un territoire assez pauvre de tels monuments.

Le plus modeste d'entre eux,  est une petite chapelle d'un plan très simple qui n'a été redécouvert qu'en 1965 dans un ancien corps de ferme. Seule la nef de plan rectangulaire est encore visible à l’extérieur tandis que le chœur est lui, intégré dans le corps de l'habitation, il est lui aussi rectangulaire et plus court et adopte un plan fréquent chez les églises saxonnes mais qui perdurera bien après la conquête normande en particulier dans les églises rurales.

L'édifice est dépourvu de tout décor; à l’extérieur on remarque un usage d'un petit appareil irrégulier; la porte d'entrée a été trop remaniée et les fenêtres agrandies.



Mais à l'intérieur on découvre un magnifique arc triomphal légèrement outrepassé ce qui est une véritable surprise pour cette région pourtant si éloignée de la région où ce type d'édifice est bien plus fréquent. L'arc possède des piédroits en appareil " long and short"  terminés par des impostes moulurées.



Mais ce qui renforce l’intérêt de cette modeste chapelle c'est la découverte de deux inscriptions dont une dédicace qui permet de la dater précisément de 1056 soit dix ans avant l'arrivée des Normands.

La dédicace est aujourd'hui conservée au Ashmolean Museum d'Oxford dont je reproduis une image car seulement une copie est visible dans la chapelle.



Le texte dit:
       
                                      + ODDA DUX IVSSIT HANC/
                                       REGIAM AULAM CONSTRUI/
                                       ATQUE DEDICARI IN HONO/
                                       RE S(anctae) TRINITATIS PRO ANIMA GER/
                                       MANI SUI AELFRICI QU(a) E DE HOC/
                                       LOCO AS(s) U(m) PTA AELDREDUS VERO /
                                       EP(i)S(copu)S QUI EANDE(m) DEDICAVIT II IDI:
                                       BUS AP(r) IL(ibus) XIIII AUTE(m) ANNO(s) REG /
                                       NI EADWARD(i) REGIS ANGLORU(m)


On peut ainsi la traduire ainsi: " le seigneur Odda ordonna de construire ce sanctuaire  royal pour le salut de l’âme de son frère Aelfric qui était mort en ce lieu et en l'honneur de la Sainte-Trinité. Sa dédicace fut célébrée le 2 des ides d'avril, l'an 14 du Roi des anglais Edouard par l’évêque Ealdred.

L'on connait par des textes le personnage de Odda qui est un noble de la cour du Roi Edouard le confesseur et peut-être un de ses parents et qui mourut peu de temps après avoir pris l'habit monastique à l'abbaye de Pershore en août 1056 trois ans après la mort de son frère. La transcription de la dédicace permet de dater la consécration de la chapelle le 12 avril 1056.

C'est une dédicace remarquable à bien des égards. D'abord parce que c'est l'une des très rares subsistant de l'époque saxonne. Ensuite car elle évoque quatre personnage par leur nom, Odda et son frère Aelfric, l’évêque Ealdred qui était alors évêque de Worcester et la personne du Roi Edouard, celui qui avait fait de Guillaume de Normandie son successeur. Enfin le texte évoque une salle royale ou un sanctuaire royal REGIAM AULAM ce qui est surprenant pour un si modeste édifice, mais qui devait aussi marquer l'importance toute particulière, pour ce haut personnage, du lieu qui n’était certainement pas un ouvrage ordinaire.
Je suis aussi à titre personnel très attaché à ces textes écrits, en particulier ceux qui évoquent par-delà le temps, ces personnages presque saisis dans l'intimité et l'humilité de leur démarche .


vendredi 18 janvier 2019

A la recherche des anciennes églises saxonnes de l'ouest de l'Angleterre.

Duntisbourne Rous
Il est très difficile pour le voyageur muni d'une documentation éparse, de se faire une idée de ce que pouvait être les églises saxonnes dans l'ouest de l'Angleterre avant la conquête par les Normands.
Cette région n'est en effet pas celle où l'on trouvera les exemples les plus remarquables de l'art de batir à l'époque anglo-saxonne, pour se faire il convient davantage de privilégier le sud ou le nord-est de l'Angleterre. Toutefois je tenterai dans ces billets de vous faire partager quelques images de ces émouvants témoignages de l'art pré-roman anglais.
Au risque de critiques qui seraient justifiées, j'ai voulu dans un premier temps tenter de reconstituer par des images de deux églises qui bien que non saxonnes peuvent donner une représentation de ce qu'étaient ces églises.
Comme je l'avais indiqué dans mes billets introductifs, la plupart des églises anglo-saxonnes ont disparu en raison de la fragilité même de leur construction, le plus souvent faite de bois ou de torchis.Mais aussi du vaste programme de reconstruction entrepris aprés 1066.
Quelques-uns de ces très anciens monuments en bois demeurent cependant, hors de ma région de visite.
L'église St Mary de Stretton Sugwas dans le Herefordshire, qui a succédé au XVIIe siècle à une église plus ancienne présente un de ces vastes clochers à pans de bois qui donne une idée assez proche de ce que pouvaient être les modes de construction adoptés à l'époque anglo-saxonne.
Toutefois il convient de noter que cette tour a été bâtie bien postérieurement.
Stretton Sugwas
Stretton Sugwas


Upleadon
Upleadon

Il en est de même de l'église St Mary the Virgin à Upleadon dans le Goucestershire, qui présente tout comme la précédente un grand clocher massif en bois et brique construit à l'époque Tudor. Là encore ce clocher présente des similitudes avec les clochers des églises saxonnes d'autant que pour ce village il est bien attesté la présence d'une église saxonne avant l'invasion des Normands.


Dans ce propos introductif c'est vers l'église St Michael de Duntisbourne Rous dans le Gloucestershire qu'il faut se tourner pour trouver un exemple le plus proche des églises saxonnes d'origine.
La présence d'un établissement saxon est attestée par diverses sources et le nom Dunt d'un ancien chef saxon aurait donné le nom au village, avant la conquête, le territoire aurait été détenu par un autre saxon Wulfard. L'église est construite sur un terrain en pente abrupte et présente un plan très simple constitué de deux nefs ou plus exactement d'une nef et d'un chœur précédés d'un petit clocher de plan carré postérieur. Les quelques sources dont j'ai pu disposer s'accordent pour donner à l'église les caractéristiques d'un ancien monument saxon, bien que celui-ci ait été largement remanié en particulier à l'intérieur à l'époque romane ou normande.

Duntisbourne Rous

La partie la plus ancienne serait l'actuelle nef d'une église qui à l'origine présentait un plan très modeste rectangulaire.
On remarquera à l'ouest une simple ouverture d'une fenêtre monolithe peut être elle aussi d'origine saxonne, l'appareillage irrégulier de la nef simplement équarris est assez caractéristique des constructions saxonnes.
Duntisbourne Rous
Duntisbourne Rous



La pente raide du terrain a été mise à profit pour la construction d'une petite chapelle sous la nef qui lui était autrefois reliée par une volée d'escaliers, ouvrage surprenant qui est aussi décrit par certains auteurs comme une crypte. La modestie et la rusticité de l'ouvrage peuvent laisser à imaginer qu'il remonterait également à la construction saxonne d'origine, la fenêtre crée dans le mur est qui éclaire cette chapelle semble toutefois être bien postérieure à la construction d'origine.

Duntisbourne Rous

Duntisbourne Rous

C'est aussi un lieu empli de charme et de paix comme savent si bien le suggérer ces modestes églises de la campagne anglaise.




jeudi 10 janvier 2019

Les églises romanes d'Angleterre sont peu nombreuses ou ne sont que ruines et ce qui reste est peu original ! (Ou quelques idées reçues sur l'art roman en Angleterre seconde partie).

Stretton Sugwas
Ce petit billet sera le dernier de cette présentation introductrice de mon voyage dans l'ouest de l'Angleterre en forme de boutade à destination d'un ami moqueur qui me demanda pourquoi diable je voulais aller en Angleterre pour y découvrir des églises romanes alors qu'il y en avait tant en Saintonge ou en Poitou ou encore en Castille et en Lombardie !

"En Angleterre ? (me dit-il), à part Ely, Iffley et Kilpeck il n'y a que des ruines et le peu qu'il reste n'est guère  !"

Difficile de lui donner tord en réalité. Je suis déjà allé à plusieurs reprises dans ce beau pays auquel je suis lié pour de nombreuses raisons, armé du seul guide dont je disposais alors; les deux tomes de "L'Angleterre romane" des éditions du Zodiaque et en dépit de l'excellence du travail; deux tomes pour couvrir un grand pays cela parait un peu faible alors que ces mêmes éditions ont consacré prés d'une dizaine de Volumes à L’Italie, l'Espagne ou encore l'Allemagne.

J'ai aussi un autre ouvrage dans ma bibliothèque, déjà ancien, sur "l'Art roman en Grande-Bretagne" de Robert Stoll aux éditions Braun qui lui survole toutes les Iles Britanniques . Les photos sont superbes et l'ouvrage bien documenté mais il y tellement peu d'édifices décrits que l'on pourrait considérer que  l'Angleterre ne vaudrait que pour une soixantaine d'édifices et encore que pour partie romane.

Il faut bien sur sortir du prisme français pour découvrir que que la réalité est bien différente et qu'en fait il y a en Angleterre un très grand nombre d'édifices romans civils et religieux. Rien que pour le Gloucestershire plus dune centaine et certains je pense peu connus du public ce qui donne à leur découverte une saveur presque d'aventure. Il n'y a malheureusement que peu d'ouvrage même en anglais consacré à l'art roman des Iles Britanniques contrairement à certaines collections italiennes ou espagnoles. Ce vide est surprenant alors que nos amis anglais sont des passionnés de leur patrimoine et cette absence de recensement fait défaut pour celui qui comme moi aime découvrir les plus prestigieux édifices tout comme les plus modestes.
Haughmond Abbey


Mon ami avait également raison de souligner l'importance des destruction des grands édifices religieux anglais. L'Angleterre a en effet connu une grande vague de destructions quand Henri VIII a décidé de frapper tous les monastères et des prieurés de dissolution. Seules quelques églises ont été cédées aux parois soient de nouveaux diocèses, mais la majorité des biens ont été vendue à des laïcs de telle sorte qu'il n'existe à ce jour presque plus aucune communauté religieuse installée dans les abbayes historiques.

La plupart des autres églises ou cathédrales ont été fortement remaniées en particulier à l'époque gothique et il faut souvent se montrer curieux et attentif pour en découvrir les restes de l'époque romane.
Toutefois comme le souligne Lucien Musset nos amis anglais ou un goût particulier pour la mise en scène presque romantique de ces ruines; qu'il indique être l'une des parures les plus monumentales et les plus originales de l'Angleterre.

Reste enfin le grief tiré de la prétendue absence d'originalité de l'art roman anglais il est vrai que du point de vue français l'Angleterre présente une grande unité architecturale et n'offre pas ses caractéristiques régionales si particulières à notre pays. Cette relative uniformité architecturale s'explique beaucoup par la politique d'unité totale du royaume après la conquête des Normands. On peut relever comme constante la présence dans les campagnes de très nombreuses églises à plan unique constitué d'une neuf et d'un cœur et d'un chevet le plus souvent plat. On ne trouvera que très peu d'exemples d'églises avec transept ou avec absides et absidioles si fréquentes en France.

On est également frappé par la présence dans presque toutes les grandes villes d'Angleterre de monumentales cathédrales parfois avec plusieurs travées le plus souvent avec une vaste nef avec piles rondes, parfois gravées.

Malmesbury

Windrush


Enfin, mais ce sera l'objet d'autres billets, il existe également quelques constantes du décor sculpté.
Beaucoup ont voulu souligner la proche parenté des églises romanes d'Angleterre avec les églises de Normandie, toutefois il serait une erreur de considérer qu'il ne s'agit que de copies des églises normandes, l'Angleterre a su développer un art original, influencé par ses origines saxonnes mais aussi nordiques style qu'elle a à son tour "exporté" vers la France alors sous domination anglaise mais aussi vers d'autres terres de conquête en particulier l'Italie du Sud.
De ces contrées lointaines longtemps sous domination byzantine puis arabe elle s'est inspirée de décors ou motifs plus orientaux faits d'entrelacs et d'arc entrecroisés poussés à un raffinement extrême.
Bere Regis

Bishop's Cleeve

Comme je tacherais de vous le montrer l'art roman en Angleterre est à la fois riche et surprenant et mérite amplement sa découverte. Un voyage d'une semaine ne saurait suffire à découvrir même quelques comtés de l'ouest de l'Angleterre c'est dire qu'il existe encore de nombreuses régions à découvrir pour le plus grand bonheur de l'amateur d'art roman.

Pour préparer ce voyage je me suis inspiré des ouvrages suivants:

"L'Angleterre romane" tome 1 et 2; éditions du Zodiaque de Lucien Musset,
"L'art roman en Grande-Bretagne" de Robert Stoll éditions Braun,
"Romanesque Architecture ans Sculpture in Wales" de Malcom Thurlby éditions Logaston Press,
"Corpus of Anglo-saxon stone sculpture" de Richard Bryant editions OUP/ British Academy.

Je vous invite aussi à découvrir des sites internet qui seront en lien avec ce blog.

https://www.extraordinarybookofdoors.com/

-https://www.crsbi.ac.uk/

-https://mondes-normands.caen.fr/france/archi/accueil_archi.htm

-http://englishbuildings.blogspot.com/


vous pouvez également consulter les sites suivants:

-https://www.english-heritage.org.uk/

-https://www.churchofengland.org/







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