samedi 24 novembre 2018

Il n'y a pas d'art roman en Angleterre. Ou quelques idées reçues à propos des églises romanes d'Angleterre première partie .

Eglise d'Upleadon.

Si le titre peut paraître volontairement provocateur il faut admettre que les contours de ce que l'on appelle l'art roman sont imprécises et variables selon les pays.
Cette création intellectuelle comporte sa part de cohérence lorsqu'il s'agissait au XIXe siècle de redécouvrir les ancienne formes architecturales du Moyen Age puis de les comparer et de les classer c'est à dire aussi de les distinguer.
On attribue généralement à Gérard de Gerville, l’expression "art roman" crée en 1818 pour différencier ce qui était alors couramment considéré comme un "art français" et couvrant sans distinction les arts du Moyen Age. L'on créait donc un mot nouveau  une période allant de la fin du Xe siècle au XIIe pour la période romane et une seconde époque plus vaste de XIIIe au XVe siècle pour la période gothique ( mot lui même emprunté à des auteurs italiens).
 En outre la différenciation serait fondée sur des considération essentiellement stylistiques dont la plus célèbre est l'emploi de l'arc en plein cintre pour la période romane et la croisée d'ogive pour la période gothique avec de multiples déclinaisons.
L'art roman serait ainsi un terme, particulièrement adapté à la France et peut etre aussi à l'Espagne.
Pour les périodes antérieures, c'est-à-dire de la chute de l'Empire romain christianisé jusqu'à la fin du Xe siècle l'on parle volontiers d'art paléochrétien ou encore d'art préroman ou même d'art carolingien.

Toutefois l'on ne peut que constater pour la France même, l'approximation de ces définitions. En effet l'art gothique commence très tôt en France et ce dès la seconde moitié du XIIe siècle en particulier en Île-de-France. En Bourgogne la croisée d'ogives n'est pas réservée à l'art gothique et les bâtisseurs romans  connaissaient déjà l'arc brisé, la cathédrale d'Autun en étend un parfait exemple.
En outre les formes romanes persisteront bien au-delà du XIIe siècle en particulier dans les régions de montagnes fidèles à la tradition architecturale romane. Ainsi dans les hautes vallées pyrénéennes ou dans les Alpes, par exemple l'église de La Grave bien que d'origine ancienne fut intégralement reconstruite selon le modèle roman au XVe siècle.
Le terme d'art roman reste donc relatif en particulier lorsque l'on franchit nos frontières. Ainsi pour toutes les terres d'Empire essentiellement pour l'Allemagne actuelle l'on parlera plus volontiers d'art ottonien pour toutes les périodes antérieures au XIIe siècle puis postérieurement d'art roman étant précisé que jusqu'à la moitié du XIIIe siècle l'on bâtira des églises de pur  style roman. Il en est de même en Italie. Pour le nord de l'Europe, christianisée dès l'époque carolingienne l'on parle plus volontiers d'art nordique fortement inspiré par la tradition viking. En Irlande et pour toute la période médiévale antérieure à la période gothique l'on parle sans distinction d'art irlandais.Et que dire de l'art croate ou de l'art mozarabe! On pourrait y perdre son latin !
Tour saxonne de Deerhurst

L'Angleterre ne fait pas exception. Promenez-vous dans n'importe quelle ville ou village et demandez où se trouve une église romane au réagira avec surprise. Le terme romanesque qui est la traduction du mot roman en anglais semble presque totalement inconnu. En réalité pour l'Angleterre il n'existe que deux périodes à savoir la période saxonne qui concerne toute la période allant de la fin de la domination romaine jusqu'à  l'invasion de Guillaume le conquérant. Au-delà de 1066, date purement théorique, l'on parle de la période normande elle correspond à notre art roman français. Il y a donc pas d'art roman en Angleterre mais seulement un art Saxon qui  jusqu'à la seconde moitié du XIe siècle et un art Normand de la fin du XIe siècle au tout début du XIIIe siècle.

L'Angleterre qui a été longtemps une province romaine se verra totalement désertée par l'autorité de Rome à partir de 410 et sera soumise à plusieurs vagues d'invasions entraînant le repli des populations chrétiennes vers l'ouest le Pays de Galles et la Cornouailles. Ce n'est qu'à partir de l'année 597 qu'une mission chrétienne fut envoyée en Angleterre par le pape Grégoire le Grand mais le christianisme mis plus d'un siècle à s'imposer pour triompher finalement à partir du huitième siècle.
S'il ne reste que très peu d'églises de la période saxonne (environ 400 églises ou parties d'églises saxonnes sont répertoriées pour toute l'Angleterre), il ne faut pas cependant considérer que le christianisme ne fut pas très actif pendant cette longue période. Le VIIIe siècle correspond à une période de nombreuses constructions puis à la fin du IXe et du Xe siècle fait l'objet d'un véritable renouveau en particulier sous l'influence d'Alfred Le Grand et du grand réformateur monastique Saint Dunstan.
Arc triomphal de l'église saxonne de Daglingworth.

 L'on peut imaginer que les formes architecturales de l'art Saxon ont même continué à perdurer après l'invasion normande dans les régions les plus reculées. C'est aussi une ère d'incertitudes marquées par les invasions multiples, les divisions territoriales et politiques mais aussi la forte pression des invasions vikings en particulier dans le nord de l'Angleterre où ces derniers s'implanteront pour de nombreuses décennies.
 On peut cependant aujourd'hui admirer quelques uns des édifices qui sont parvenus jusqu'à nous mais qui ne donne qu'une image imprécise des constructions de l'époque généralement construites en matériaux peu durables comme le bois, la brique ou le torchis et rarement la pierre. À l'occasion de ce voyage dans  l'ouest de l'Angleterre j'aurai l'occasion de vous faire découvrir quelques-uns de ces émouvants témoignages de l'Angleterre d'origine avant la conquête normande.
Mur de la chapelle saxonne dite Oda's Chapel.

C'est bien entendu après la conquête du duc Guillaume de Normandie que va se tourner une nouvelle page de l'histoire de l'Angleterre et avec elle un exceptionnel élan de constructions tant religieuses que militaires.
Le duc Guillaume favorisera l'arrivée en Angleterre de ses proches à la fois pour gouverner le territoire mais aussi conduire spirituellement les esprits. C'est donc une véritable révolution que connaîtra cette période en particulier à partir des années 1070 lorsque le roi Guillaume décidera de gouverner et d'administrer directement l'Angleterre au profit des nouveaux conquérants et en ignorance complète de l'art Saxon. On doit admettre aussi que la période sera totalement méprisée et dénigrée à l'image  Lanfranc qui reconnaissait ignorer les saints Anglais. Avec le dernier fils du roi Guillaume Henri Ier va s'opérer un grand remodelage de l'héritage normand dans le cadre anglais avec la réalisation de multiples chantiers; les Normands semblant alors, prendre pleine conscience des possibilités que leur ouvrait la richesse de leur nouvelle conquête par rapport aux médiocres ressources de leur territoire d'origine.
Eglise saxonne de Bradford on Avon

Les quelques photos que je partage sur ce billet sont toutes des églises saxonnes ou en partie saxonne de l'ouest de l'Angleterre. l'Eglise de Bradford on Avon est plus au sud c'est une exceptionnelle église tout en pierre que j'ai visité il y a de nombreuses années ce qui explique la piètre qualité de la photo.

3 commentaires:

  1. Permettez-moi d'ajouter quelques mots! Pendant mon enfance en Angleterre l'art Roman était souvent décrit comme "Norman". A 18 ans je suis entrée dans le Courtauld Institute pour étudier l'histoire de l'art. Le doyen au-dessous de Professeur Anthony Blunt était Professeur Zarnecki. Il parlait toujours de l'art Roman pour les mêmes églises en Angleterre. C'était déjà courrant pendant les années 60. Et à propos, maintenant on sait mieu que d'assoscier l'art d'Irelande avec le mot "Celtique"!

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  2. Un article qui rappelle la relativité de l'expression "architecture romane". C'est parce qu'il ne trouvait pas satisfaction dans la classification stylistique élaborée par les Antiquaires anglais (art saxon/art normand comme vous dîtes) que Charles de Gerville (et non Gérard:)) a proposé le terme de "roman" pour les monuments de sa Normandie.

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  3. Merci beaucoup votre intervention et je corrige bien sur le prenom de Monsieur de Gerville

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